Médecine : petit guide (illustré) des traditions carabines

Pour vivre heureux, vivons cachés. Jusqu’à la divulgation d’une fresque au goût douteux peinte dans la salle de garde d’un hôpital de Clermont-Ferrand, mi-janvier 2015, on se préoccupait peu des traditions des étudiants en médecine. Tant que le travail était bien fait… Quelles sont ces traditions, leurs origines et leur signification ?

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La salle de garde de l'hôpital Saint-Louis côté pharmacien. // © Gilles Tondini

La fresque de la salle de garde du CHU (centre hospitalo-universitaire) Gabriel-Montpied de Clermont-Ferrand, même effacée, continue de diviser. Dessinée il y a 15 ans, cette scène d'orgie entre super-héros a suscité la polémique après que des bulles de BD ont été ajoutées pour critiquer un projet de loi portée par Marisol Touraine, la ministre de la Santé.

L'association Osez le féminisme a dénoncé une apologie du viol collectif, en l'occurrence celui de Wonder Woman qui symboliserait la ministre. Des politiques mais aussi l'Ordre des médecins et de nombreux praticiens ont également condamné la fresque. D'autres – également nombreux – ont défendu le dessin, au nom de la liberté d'expression et des traditions des étudiants en médecine.

Le folklore des salles de garde

La salle de garde est une salle de l'hôpital réservée aux internes, médecins, pharmaciens et leurs invités éventuels. On y prend son repas et on décompresse. Indispensable quand on côtoie la maladie et la mort au quotidien...
Cette cantine un peu spéciale est soumise à un règlement. Parmi les règles à respecter : en arrivant, on salue tous les convives assis par une tape amicale sur l'épaule avant de s'asseoir ; on ne laisse pas de place vide entre deux personnes, ce qui évite les "clans" ; on ne parle pas médecine à table ; on ne parle pas non plus de politique ou de religion ; on s'essuie avec la nappe (pas de serviette) ; on n'utilise pas de tire-bouchon ; on n'applaudit pas mais on lance une battue (rythme tapé sur la table, l'assiette ou le verre) ; on se tutoie ; on ne sort pas de table sans autorisation, etc.

L'esprit du carnaval

Ici, tout le monde est à égalité. Il n'y a plus de hiérarchie. "En réalité, tout est inversé et on ne peut pas comprendre ce qui se passe en salle de garde si on ne comprend pas cela. Cela tient du carnaval. On attend des médecins une certaine retenue, une certaine distance par rapport au corps de l'autre ? En salle de garde, ils sont extravertis, exhibitionnistes. On attend d'eux un langage châtié ? Ils sont vulgaires. Ils doivent être propres et respecter les règles d'hygiène ? Les salles de garde sont souvent sales et les repas tiennent du banquet", explique Bastien Thelliez, chercheur en ethno-scénologie à Paris 8 et rédacteur d'un mémoire sur "la geste carabine".

Des gages pour tout manquement

La salle est gérée par un monsieur Loyal appelé "économe". Il (ou elle) est secondé(e) dans sa tâche par des sous-économes. Tous sont élus pour un semestre. Mais cette monarchie peut être renversée à tout moment par un putsch.
Tout manquement au règlement est passible de "taxe" : un gage choisi par l'économe ou par une roue du hasard. Ces gages peuvent aller de chanter à montrer une partie de son anatomie comme ses fesses ou ses poumons (les seins)... Tout redevient "normal" au moment où l'économe boit son café. Les discussions autour de la médecine peuvent alors reprendre.
La salle est en général décorée de fresques caricaturant les personnes qui la fréquentent,y compris et notamment les chefs, dans des postures souvent pornographiques. Une façon de célébrer le plaisir et la vie qui peut choquer de l'extérieur... Du reste, d'habitude, la salle de garde est coupée du monde. Hors corps médical, n'y accède pas qui veut. "Personnellement, j'ai découvert cet endroit hallucinant lorsque j'ai été embauché aux cuisines d'un hôpital parisien pendant mes études de théâtre. J'ai dû passer un entretien avec trois personnes pour exposer mes motivations", se souvient Bastien Thelliez. Mais les réseaux sociaux ont changé la donne question confidentialité...
Aujourd'hui, les salles de garde ont tendance à disparaître. Les cuisines ne sont plus entretenues, ce qui pousse les internes à prendre des plateaux-repas ou des sandwichs à la cafétéria de l'hôpital.

Les chansons paillardes

Autre tradition en salle de garde, pour se donner du cœur à l'ouvrage : les chansons paillardes, de l'enfantine "Jeanneton" à la très connue des internes "Digue du cul", une histoire grivoise qui se déroule sur la route de Nantes à Montaigu. Des chants qui ne datent pas d'hier mais qui font désormais l'objet d'applis dédiées sur iPhone et Android et dont les textes peuvent amuser, voire choquer, plus d'un étudiant d'aujourd'hui.

Salle de garde de l’hôpital Lariboisière, date inconnue. // © Le plaisir des dieux
Salle de garde de l’hôpital Lariboisière

Salle de garde de l’hôpital Cochin, date inconnue  // © Le plaisir des dieux
Salle de garde de l’hôpital Cochin

Salle de garde de l'hôpital Saint-Louis coté pharmacien, date inconnue // © Gilles Tondini
Salle de garde de l'hôpital Saint-Louis coté pharmacien

Salle de garde de l’hôpital Boucicaut, 1925. // © Le plaisir des dieux
Salle de garde de l’hôpital Boucicaut, 1925.

source : letudiant.fr